Audio Du Village

T’es mauvais Jack : Pourquoi la prise avion ?

Il y a des jours où les sujets vous tombent du ciel (appréciez le jeu de mot, c’est un métier). Alors que je me maudissais encore d’avoir oublié de prendre un adaptateur prise avion pour mon Bose, me laissant le choix du fameux casque supra et ses coussinets en mousse, je me demandais entre 2 passages aux gogues quelle pouvait être la raison de ce standard si étrange et si énervant. Non, en toute modestie je connaissais l’essentiel de la réponse, bien qu’étant beaucoup trop jeune pour avoir connu les origines, et beaucoup trop vieux pour les ignorer.

 

Une origine non militaire

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce standard en lui-même ne vient pas de l’aviation militaire et de la seconde guerre mondiale, pas tout à fait. La communication passait alors par un émetteur radio longue ou moyenne portée (à lampes à l’époque), sur lequel on allait brancher un casque via une prise Jack Mono, la Stéréo n’existant pas encore à l’époque. La prise avion n’était alors pas différente ce ce qu’on pouvait retrouver chez les opérateurs téléphonique ou particuliers (très rares). Seule la taille et quelques détails topologiques différaient, ce qui est toujours le cas dans l’aviation en général. La prise n’est ainsi pas exactement la même pour un petit avion, pour un modèle commercial, pour un avion de chasse ou pour un hélicoptère par exemple, mais ce n’est pas le sujet du jour.

Le modèle HB7 de l’US Air Force pendant la seconde guerre

Petit trivia : La Stéréo sur un casque, bien avant le Koss SP/3 de 1957, exista fugacement à la Luftwaffe (aviation Allemande pour les incultes du fond) à travers un petit bricolage semblable à un sonar, permettant de garder l’œil libre. Le pilote recevait d’abord une série de Traits en code Morse sur son écouteur Gauche, venant d’un premier émetteur, puis une série de Points en code Morse sur son écouteur Droit venant d’un second émetteur, et ainsi de suite, cela à intervalles constants. La moindre déviation par rapport à la route prévue induisait la perte de cet intervalle. 

 

Une seconde prise Jack  pouvait exister, mais avant tout pour le microphone. Celui-ci pouvait être standard, déporté ou calé tant bien que mal avec l’attirail, voire intégré en se calant sur la gorge. Ce dernier système, captant les vibrations des cordes vocales, est encore utilisé dans les unités d’interventions mais largement amélioré (permettant d’à peine chuchoter).

laryngophone utilisé par des pilotes de Panzer

Bref, inutile d’aller plus loin dans cette voix, la véritable origine et raison du standard n’est qu’une question de coût et de technologie.

 

Un pneu d’histoire

La notion de petite bulle sonore personnelle commence en 1963 via la société AVID. La notion de « In Flight Entertainment« , ou l’enjaillement à bord,  n’en est alors qu’à ses balbutiements : La projection de film peine à trouver un standard viable. L’audio, un peu avant, va trouver une norme avec l’apparition des écouteurs Pneumatiques. Ce nom invitant à se faire démonter les oreilles en règles façon carrossier n’est en fait ni plus ni moins qu’un stéthoscope auquel on aurait retiré les parties métalliques. Pour faire simple : deux tubes de caoutchouc gainés aux extrémités par un peu de plastique rigide.

Exemple d’écouteurs pneumatiques « relativement » récents. conception et gueule exactement identiques aux anciens

 

La compagnie TWA introduit donc l’écouteur dans la foulée à coup de dépôts de brevets très discutables (aucune véritable invention dans le procédé). Extrêmement facile à produire, peu cher et lavable voire stérilisable, ce petit objet est en outre d’un principe vieux comme le monde. La partie électrique se loge dans l’accoudoir et se termine par une sorte de petit haut-parleur. Le principe est alors très simple, ce qui ressemble maintenant à la prise d’avion permet d’y brancher les terminaisons des tubes des écouteurs. Ce tube en caoutchouc creux va jusqu’aux oreilles pour lequel on a rajouté un petit embout, histoire de ne pas se rentrer le tube jusqu’au tympan lors d’un geste malheureux ou un trou d’air.

Via ce tube creux, le petit haut-parleur va tout simplement transmettre le son par l’air ainsi sous pression, d’où le terme « pneumatique ». Ce système est aussi simple que la vieille méthode des 2 boites de conserves reliées, on pouvait par ailleurs tout aussi bien retranscrire un son en enfonçant un papier roulé dans la prise.

Braniff, une ancienne compagnie Anglaise très novatrice dans le divertissement en vol. Première notamment à avoir installer le jeu vidéo à bord via un système Atari en 1975

Impossible de transmettre un signal stéréo via une seule prise et il reste plus simple de faire une prise par écouteur. On fabriquait ainsi davantage « des écouteurs » (la moitié du casque) que l’on appairait en les collant qu’un casque en une partie.

 

Rien n’arrête le progrès, surtout pas les Brouzoufs

 

A moins de voyager dans quelques obscures lignes intérieures Chinoises (et ce n’est pas une blague), il est impossible d’encore croiser cette prise vénérable. En son temps, cette solution était presque obligatoire tant la seconde était alors peu abordable… celle d’un casque/écouteur électrodynamique comme nous en trouvons des millions, parfois pour quelques centimes.

Oui mais à cette époque, les années 60 et même 70, cette technologie reste très coûteuse. Les modèles sont destinés à un public pro ou très pointu, l’audio grand public reste lové dans ses enceintes grésillantes, ses manges-disques et ses radios à transistors etc… Bref, faire un casque reste un petit luxe, il n’est en tout cas pas question d’en fabriquer un par siège. Un casque ou une enceinte sont des choses faites pour être gardés 10 ou 20 ans, on ne trouve pas de Chinoiseries à 1 dollars pour dépanner. Quelques modèles viennent bousculer l’industrie comme le HD414 de Sennheiser en 1968, premier casque vraiment moderne car léger, ouvert et pas trop cher, mais loin d’être abordable.

 

Le HD414 longtemps le casque le plus vendu de l’histoire avec 10M d’exemplaire. Sortie en 1968 pour 30$ soit environ 200$ actuels.

 

Cette équation changera dans la dernière moitié des années 70, qui verra apparaître une petite révolution en 79 avec le Walkman de Sony, ouvrant définitivement la voie à l’écoute personnelle. Dès lors, la possibilité de casques électrodynamiques en avion devient envisageable via la fabrication à grande échelle (et la réduction des coûts liés). C’est ainsi qu’émerge cette technologie, entre la toute fin de cette décennie et le commencement de la suivante , ne devenant véritablement la norme qu’à partir des années 90. La technologie pneumatique étant de toute manière vieillissante, sa conservation devenait de plus en plus coûteuse.

Mais si le casque électrodynamique  est moins cher qu’avant, il n’en reste pas moins une dépense, et on ne le paye pas encore au centime comme c’est le cas aujourd’hui, en bazarder un par passager serait un luxe.

 

Le sony TPS-l2, premier Walkman de l’histoire

Que faire ? Laisser la prise standardisée du Walkman ? Les clients voleront le casque pour s’en servir « au cas où ». La nécessité d’un standard avionique naît ainsi en partie de cette logique . Le double Jack mono est surtout extrêmement simple : Chaque connecteur possède un canal dédié et la terre, implanter un Jack stéréo ou deux jack mono est d’un même ordre de dépense, ce standard se sert de ce qui existe déjà tout en rendant impossible l’utilisation des casques ailleurs que dans un avion.

Adaptateur avion, une des connectiques les plus vendus dans le monde. On remarque les 2 jack 3,5mm en mono, intégrant la connexion canal et la terre sur chacune

 

Mais la logique va plus loin. Tous les vols ne distribuent pas un casque, mais tous ou presque permettent d’en acheter. Cette pratique n’a plus cours,  mais mettra longtemps du beurre dans les épinards de petites compagnies intérieures Américaines. Pour ne pas avoir à forcer le consommateur, il peut également amener son casque sous réserve d’avoir acheté un adaptateur pour prise avion. Finalement, la pomme et ses brouzoufs engrangés à chaque changement de standard n’a rien inventé.

Le reste du standard est une simple continuité du système pneumatique, reprenant le principe de dualité des prises et son écart, cela pour ne pas avoir à réinventer la topologie générale.

La modernité et les coûts faisant, les prises jack stéréo classiques sont de plus en plus présentes mais sont loin d’être la norme, beaucoup d’appareil pourtant modernes (Même A380 ) reste en double mono sur certaines compagnies.

Sony-WH-1000Xm2 

 

Il est presque triste d’avoir une explication aussi terre à terre sur l’origine de la prise avion, mais les standards sont rarement dictés par autre chose que l’argent. Il est également triste que cette explication tenant sur 2 paragraphes débouche sur une telle diarrhée de presque 1 500 mots,  mais on ne se refait pas.

 

 

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